Du droit des affaires au doctorat en droit animalier
Le droit animalier est une matière passionnante, intéressant de plus en plus de juristes. Pourtant, peu de renseignements existent et nombreux sont les praticiens ou les étudiants perdus : par où commencer ? comment se former ? Les retours d’expérience sont encore plus rares ! Je le constate moi-même, régulièrement interrogée sur mon parcours.
La page Instagram Juristes d’Avenir, que je remercie, permet à divers professionnels ou étudiants de partager leur expérience et leurs conseils. Contactée par leurs équipes, j’ai pu évoquer mon parcours, les débouchés en droit animalier, mais également les difficultés que j’ai rencontrées. Ce témoignage, à paraître, me permet d’évoquer ici ces questions d’une manière approfondie.
Spécialisée en droit des affaires, j’ai obtenu en 2017 le Master 2 Structures et techniques juridiques des affaires (M2 STJA – Université Paris Saclay). Ce dernier, co-dirigé par M. le Professeur Laurent GODON et Mme Nadège REBOUL-MAUPIN (HDR), aborde des matières très diverses telles que le droit spécial des sociétés, le droit de la distribution, le droit fiscal ou encore le droit de l’environnement. Afin de valider ce diplôme, j’ai effectué un stage de six mois au sein d’un Etablissement bancaire international. Près de cinq ans plus tard, j’y occupe un poste de Juriste référent/responsable adjoint.
Passionnée par le droit animalier, j’ai choisi d’intégrer, en janvier 2018, un Diplôme d’Université éponyme, dirigé par M. le Professeur MARGUENAUD et Mme le Professeur BOISSEAU-SOWINSKI au sein de l’Université de Limoges ; que j’ai obtenu avec la mention très bien. Pour valider les acquis, cette formation est sanctionnée par un oral ainsi que par la rédaction d’une proposition de loi (j’ai argumenté en faveur de la création de forces de l’ordre dédiées aux infractions animales). J’avais déjà eu, depuis le mois d’août 2017, l’opportunité de me former au droit animalier par la rédaction d’articles juridiques sur ce blog (découvrir les articles).
Souhaitant approfondir mes connaissances, j’envisageais début 2019 de poursuivre un travail de thèse. Alors que j’étais en poste depuis maintenant deux ans en tant que juriste contentieux, je redoutais qu’il soit complexe de trouver une personne acceptant de me diriger. Et pourtant, j’ai eu la chance de retrouver, en mes anciens directeurs de master, deux personnes partageant mes intérêts. Lorsque je leur ai exposé mon envie, ils m’ont tout de suite encouragée. Je travaille depuis maintenant deux ans et demi sous leur direction au sujet de « L’animal au sein de l’entreprise ». Mon projet de thèse a pour but de détailler les règles de droit des affaires applicables à l’animal et de proposer un régime juridique unifié qui pourrait former une nouvelle matière : le droit animalier des affaires.
Avoir à la fois un pied dans l’entreprise et à l’université présente – comme de nombreuses situations – des avantages et des inconvénients. Gérer deux activités à temps plein nécessite une organisation millimétrée, mais aussi et surtout de la discipline. Sans quoi, on peut vite se laisser dépasser par la charge de travail que tout cela représente. Mais, cette double activité me permet de garder un oeil pratique dans mes recherches et analyses. Cette rencontre entre théorie et pratique s’est matérialisée en 2020, lorsque je suis devenue chargée d’enseignement en droit des sociétés pour les étudiants de licence 3. Depuis 2022, ces TD se sont transformés en interventions en droit du financement des entreprises auprès des étudiants du M2 STJA.
Enfin, j’ai lancé en janvier 2022 la Revue ONZE47, dédiée aux droits animalier et des affaires. Celle-ci est trimestrielle, et tous ses numéros sont construits autour d’un thème central. Le premier était par exemple consacré à la loi n°2021-1539 du 30 novembre 2021, visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter les liens entre les animaux et les hommes.
Pour répondre aux questions qui m’ont été posées :
Est-il dur de reprendre ses études après les avoir finies ? En fonction de la durée entre la fin des études et leur reprise, la difficulté sera plus ou moins importante. Mais ce qui importe le plus finalement, c’est la motivation et l’intérêt pour la matière envisagée. Si on m’avait dit, lorsque j’étais en M2, que je finirais par m’inscrire en thèse, je serais probablement restée incrédule. Et pourtant ! Il y a bien évidemment des périodes plus ou moins faciles à passer, et la motivation n’est pas toujours au rendez-vous. Dans ces moments, il sera particulièrement important de rester discipliné et de continuer à avancer. Le choix du sujet est lui aussi primordial. Il faut avoir conscience, avant de se lancer en thèse, de la charge de travail que cela représente, mais aussi du temps que cela prend.
Est-il compliqué de trouver des directeurs de thèse en droit animalier ? Les enseignements en droit animalier restent, même s’ils se développent, assez rares en France. Il peut donc être peu aisé de trouver des directeurs de thèse qui soient spécialisés en la matière. Néanmoins, il ne faut pas se limiter, et ne pas hésiter à se tourner vers des enseignants évoluant dans des matières plus classiques. Droit pénal, droit des sûretés, droit des biens… le droit animalier se recoupe avec beaucoup de matières incontournables, et le mélange de sujets peut donner des choses très intéressantes. Une fois ces points en tête, il faut convaincre un enseignant habilité à diriger des recherches (HDR) de bien vouloir vous diriger. Pour ce faire, il est important d’avoir un projet de thèse cohérent, construit et réfléchi. Il faut montrer à votre interlocuteur que vous êtes capable de mener ce projet de thèse à bien, et que rien n’est laissé au hasard.
Est-il possible de travailler et de poursuivre un travail de thèse en parallèle ? Occuper un poste à temps complet peut déjà relever du challenge dans certains cas. La thèse est également un travail en soit, occupant de nombreux doctorants à temps plein. Concilier les deux peut donc faire peur, et en décourager plus d’un. Mener à bien deux activités à temps complet présente néanmoins un avantage considérable : votre activité professionnelle enrichira forcément (quels que soient votre poste et votre sujet) votre travail de recherche. Elle permettra de donner une dimension pratique et concrète à votre thèse. Avant de se lancer, il est donc important de se poser certaines questions : est-on prêt à supporter une telle charge de travail ? à consacrer ses soirées, weekends et parfois vacances à la thèse ? A mon sens, le mieux est d’être installé dans son poste. J’entends par là qu’il est plus facile de concilier deux activités si l’une des deux est maîtrisée. Si vous débutez votre activité professionnelle, et que vous êtes encore en formation, le mieux est d’attendre un peu avant de débuter un doctorat. Mener de front deux activités que l’on ne connaît pas parfaitement relève presque de l’impossible et vous risquez de vous fatiguer et de vous décourager. Pour finir, ce travail nécessite, comme je l’expliquais, de l’organisation, de la rigueur mais aussi et de la discipline.
Quelles formules pour s’inscrire en thèse ? Il existe différentes possibilités pour poursuivre un travail de thèse : le contrat doctoral, la CIFRE et l’autofinancement. Chacune de ces voies présente – là encore – des avantages et des inconvénients. Le contrat doctoral est un contrat passé avec une université. Vous en devenez salarié et êtes payé pour poursuivre vos recherches. Ce contrat présente l’avantage de vous laisser du temps : vous êtes (en théorie) à 100% sur votre thèse. Toutefois, la plupart des doctorants en contrat doc enchaînent généralement leur M2 avec le doctorat, ce qui les prive des aspects pratiques que j’évoquais avant. A l’inverse, l’autofinancement suppose, comme son nom l’indique, que vous financiez vous-même vos années de thèse. Ce financement peut venir de fonds propres ou de salaires d’une activité annexe. L’avantage est celui de l’indépendance, mais l’inconvénient peut tenir au manque de temps, notamment si vous travaillez à temps plein en parallèle. Pour ma part, je suis autofinancée, par mon activité professionnelle de juriste contentieux. Enfin, la Convention industrielle de formation par la recherche (CIFRE) est une sorte d’alternance, où une entreprise paye pour vos travaux. Les conditions précises sont négociées mais, concrètement, la CIFRE se rapproche d’une alternance : vous êtes payé sur 5 jours/semaine, mais ne travaillez pour l’employeur qu’un certain nombre de jours (par exemple 3) et le reste de la semaine est consacré à votre thèse. Pour en savoir plus sur la CIFRE.
Quels sont les débouchés en droit animalier ? Conscientes de l’importance du droit pour servir la cause animale, les associations importantes se dotent de directions juridiques de plus en plus importantes. De nombreux avocats choisissent également d’enfiler leur robe afin de défendre, lors d’affaires plus ou moins sordides, les animaux ou leurs propriétaires. Depuis le 1er janvier 2022, le législateur impose à toute structure travaillant avec des animaux de se doter d’un référent « bien-être animal » devant se former régulièrement. Les débouchés, s’ils restent rares, se développent donc.
Quel rôle pour le droit dans la protection animale ? Le rôle des avocats, des juges et des juristes est primordial en matière de protection animale. S’ils n’agissent pas directement sur le terrain, ils œuvrent toutefois à traduire juridiquement les considérations de ses défenseurs. L’étude de cette discipline est actuellement en plein essor, ce qui se traduit notamment par l’apparition de nouvelles formations, et la multiplication de textes et commentaires portant sur le droit animalier. Et cela à juste titre ! L’animal occupe une place grandissante au sein de notre société, et l’opinion publique s’émeut de plus en plus du sort de l’animal, exploité ou non. Les juges sont de plus en plus enclins à se saisir de questions portant sur le droit animalier, permettant d’éclaircir certains points ou de préciser les limites de certaines dispositions en matière animale. Toutefois, l’animal n’est que peu souvent – à tort – étudié au regard du Droit des affaires. C’est pourtant à l’aune des règles du droit de la consommation, du droit des sûretés, ou du droit applicable aux professionnels de l’élevage ou des spectacles animaux, que le chemin reste le plus long à parcourir en matière de droit animalier. C’est pourquoi j’essaye, par la rédaction d’articles sur le blog www.onzequarantesept.com d’abord, par la création de la Revue ONZE47 ensuite, d’informer le plus grand nombre et de vulgariser des points de droit animalier des affaires.
J’espère que cet article un peu spécial vous plaira, et surtout qu’il répondra à certaines de vos interrogations. Si ce n’est pas le cas, n’hésitez pas à poser toutes vos questions en commentaire, car elles pourraient intéresser d’autres personnes.
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