Quel rapport entre un contentieux lié à la mise à pied d’un salarié et la protection animale ? Aucun, pourrait-on penser de prime abord. Et pourtant, la Cour d’appel de Colmar nous prouve que même le droit social peut prendre en considération la souffrance animale et adopter toute mesure afin de l’empêcher.
Le 1er octobre 2015, un inspecteur de la DDPP (Direction départementale de la protection des populations) a effectué un contrôle au sein de la SCA Fermes Avicoles d’Alsace Réunies, un établissement de transformation et de conservation de viande de volaille. Derrière ce nom édulcoré se cache en réalité l’abattage de volailles et une transformation des animaux en morceaux de viande.
Lors de ce contrôle, l’inspecteur « a constaté que [M. F. a] procédé en sa présence à la saignée de poulets sans prêter attention à leur état de conscience : sept poulets, présentant des signes de conscience sont ainsi saignés devant [l’inspecteur] qui a également observé que cinq poulets supplémentaires, inconscients en sortie du dispositif d’anesthésie sont saignés tardivement et présentent des signes de reprise de conscience alors que la saignée n’est pas achevée » (Cour d’appel de Colmar, ch. sociale sect. B., 25 sept. 2018, n018/1121).
A la réception du procès-verbal dressé par l’inspecteur, la SCA a entamé une procédure de licenciement de M. F., après avoir prononcé sa mise à pied conservatoire. Plus précisément, l’employeur a imposé à son salarié de rester chez lui sans venir travailler, considérant qu’il avait commis une faute grave. D’après la Cour de cassation, c’est en effet la faute grave qui peut seule justifier une mise à pied conservatoire ; elle est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise (Cass. soc., 27 sept. 2007, n°06-43867).
M. F., mécontent, a saisi les conseils des prud’hommes afin de contester tant le licenciement que la mise à pied conservatoire. C’est là que notre affaire prend un tournant original. Après que les juges de première instance aient donné raison à la SCA Fermes Avicoles d’Alsace Réunies, l’ancien salarié a interjeté appel, souhaitant obtenir une décision qui lui serait favorable.
Interrogée quant à la mise à pied conservatoire, la Cour d’appel de Colmar devait se prononcer quant au caractère justifié de cette mesure : le maintien de l’employé dans l’attente de son licenciement était-il réellement impossible ? M. F., en négligeant de vérifier si les poulets abattus étaient toujours inconscients, a commis un certain nombre d’infractions pénales, dont seule la SCA devait répondre. Ce n’est toutefois pas le premier motif avancé par la Cour pour déclarer sa mise à pied conforme, qui s’est positionnée ainsi :
« Attendu que du fait de la souffrance infligée aux animaux et des poursuites pénales auxquelles les faits exposaient la SCA, le maintien du salarié dans l’entreprise était devenu immédiatement impossible, ce qui a justifié la mise à pied conservatoire à l’issue de la suspension du contrat de travail de M. F. pour cause de maladie ». Cour d’appel de Colmar, ch. sociale sect. B., 25 sept. 2018, n°18/1121.
Ce n’est pas seulement parce que M. F. a causé un préjudice à son employeur que sa mise à pied conservatoire est justifiée, c’est aussi et surtout parce qu’il a causé une souffrance injustifiée aux animaux abattus. Juridiquement, la Cour aurait pu se contenter d’évoquer les infractions pénales pour donner une base légale à son arrêt. Elle a pourtant choisi d’aller plus loin en faisant référence à la « souffrance infligée aux animaux ». Elle adopte ici une position forte, envoyant le message que nous pourrions interpréter de manière suivante : toute souffrance inutile provoqué aux animaux exploités doit être stoppée et peut justifier d’écarter sans délai un salarié, afin d’éviter que les souffrances ne se répètent ou ne se prolongent.
2 réponses à “Quand le droit social se saisit de la souffrance animale”
Excellent !!
J’aimeJ’aime
Un jugement qui fera jurisprudence j’espère.pour tous les animaux dans tous les abattoirs.
J’aimeJ’aime