Portrait #2. Lucille BOISSEAU-SOWINSKI : juriste engagée.

Lucille BOISSEAU SOWINSKI

Mme Lucille BOISSEAU-SOWINSKI est maître de conférence en droit privé à l’Université de Limoges. Très engagée en droit animalier, elle a rédigé une thèse en la matière en 2008 et dispense désormais des cours au sein du Diplôme Universitaire de Droit animalier de l’Université de Limoges.

 

Le droit animalier est un pan du droit qui reste à ce jour peu étudié par les juriste – malgré un fort développement ces dernières années. Vous vous êtes pourtant dirigée très tôt vers cette matière, notamment avec la rédaction de votre thèse « La désappropriation de l’animal » (disponible à la vente – ici). Qu’est-ce qui vous a attirée vers le droit animalier et la protection animale ?

Comme beaucoup de personnes qui s’intéressent au droit animalier, je ne vais pas être très originale en évoquant le fait que j’ai grandi entourée d’animaux, à l’égard desquels j’ai toujours eu une affection particulière. Au moment de choisir un sujet de thèse, le professeur Marguénaud, qui a dirigé mon travail de recherche, m’a questionnée sur mes centres d’intérêt et m’a proposé un thème en droit animalier. Ce n’est cependant qu’après avoir débuté mes recherches que je me suis rendue compte de la richesse de cette matière, de sa transversalité et de sa complexité. L’intérêt pour la thématique animalière s’est transformé en passion pour le droit animalier en tant que matière juridique à part entière.

 

Vous êtes à l’origine de la création, avec M. le Professeur Jean-Pierre Marguénaud, du Diplôme Universitaire de Droit animalier dispensé à l’Université de Limoges. Quelles sont les raisons ayant conduit à la mise en place de cette formation ? 

En tant qu’enseignants-chercheurs, il est assez naturel pour nous de lier l’enseignement et la recherche. Sur le plan de la recherche, le professeur Marguénaud a créé en 2009 la Revue Semestrielle de Droit Animalier (RSDA) et a dirigé de nombreuses thèses sur cette thématique dont certaines ont été soutenues et d’autres sont encore en préparation. Or, pour que la matière se développe davantage encore, il est nécessaire de former des juristes. La question du statut juridique de l’animal avait été mise sur le devant de la scène au moment de l’adoption, par une loi du 16 février 2015, de l’article 515-14 duCode civil reconnaissant que « les animaux sont des êtres sensibles doués de sensibilité ». Il nous a semblé que c’était le bon moment pour proposer une telle formation, qui tente d’appréhender les conséquences d’une telle évolution et qui incite les étudiants à réfléchir à de futures transformations de notre droit.

 

Dans une conférence donnée en 2015 à l’Université Jean Moulin Lyon 3 (intitulée « Pourquoi faudrait-il donner des droits aux animaux ? » – disponible ici), vous énonciez penser que les animaux avaient d’ores et déjà des droits, notamment le droit de ne pas souffrir. Votre position a-t-elle évolué ?

Ma position n’a pas évolué. Il y a un paradoxe aujourd’hui dans le fait, d’une part, d’avoir consacré une protection de l’animal pour lui-même, en tant qu’individu ayant une valeur intrinsèque, et de refuser, d’autre part, de lui accorder une personnalité juridique. Si l’animal est protégé dans son propre intérêt et non dans l’intérêt de son propriétaire ou dans un intérêt humain, c’est qu’il est déjà, de fait, titulaire de droits (et notamment du droit de ne pas souffrir inutilement), et ce même si la loi ne lui reconnaît pas de droits subjectifs en tant que sujet de droit.

 

Vous y évoquiez également l’amendement Glavany, voté une semaine avant. Trois ans et demi plus tard, quel serait votre bilan sur les effets de la nouvelle définition des animaux ?

La reconnaissance de la qualité d’êtres vivants et sensibles des animaux en droit civil par l’article 515-14 du Code civil, issu de l’amendement Glavany, a été très importante. Même si à l’heure actuelle une partie de la doctrine considère que l’animal est encore un bien et que la modification n’est que théorique et n’a pas de conséquences juridiques, une autre partie, de plus en plus importante, considère au contraire que les animaux ont été extraits de la catégorie des biens, mêmes s’ils sont soumis au même régime juridique. La question du statut juridique de l’animal qui était souvent considérée comme fantaisiste auparavant est devenue une question sérieuse, à laquelle il est devenu désormais indispensable de s’intéresser. Au-delà de la doctrine, on constate également que les juges s’intéressent davantage aux infractions animalières et sanctionnent plus lourdement les actes de cruauté ou mauvais traitements commis à l’encontre d’un « animal-être sensible » qu’à l’encontre d’un « animal-bien meuble ou immeuble » ! Si cet article n’a pas modifié le droit applicable aux animaux, il a modifié la manière dont les juristes appréhendent les questions animalières.

 

Enfin, quel serait pour vous le moyen le plus efficace d’assurer la protection de l’animal en droit ?

Pour moi, ce serait d’aller jusqu’au bout de ce qui a été amorcé en procédant à la « désappropriation » de l’animal. En effet, ce qui pose problème dans l’actuel article 515-14 du Code civil, ce n’est pas la reconnaissance de l’animal comme être vivant et sensible, mais sa soumission au régime des biens. Tant qu’il sera soumis au droit de propriété et donc au régime des biens, son changement de statut juridique ne sera que théorique puisqu’un statut juridique sert essentiellement à déterminer un régime juridique. Il est donc nécessaire que le statut soit en corrélation avec le régime. C’est d’ailleurs là l’une des principales critiques à l’égard de cet article, certains se focalisant sur le régime juridique pour refuser d’admettre un changement de statut de l’animal et d’autres reconnaissant le caractère théorique du changement de statut en l’absence de changement de régime juridique.

L’article 515-14 ouvre pourtant la porte de la désappropriation de l’animal puisqu’il prévoit en alinéa 2 que « sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens ». Le régime des biens n’est donc qu’un complément, dès lors qu’il n’existe pas de règle spécialement prévue pour l’animal. Le développement de règles propres et spécifiques à l’animal en considération de sa sensibilité conduira donc à écarter de plus en plus souvent le droit de propriété et à créer un régime juridique autonome. Dès lors que celui-ci existera, l’application du droit de propriété à l’animal ne sera plus nécessaire et la désappropriation pourra être achevée. Nous aurons alors un système juridique cohérent où l’animal disposera d’un régime en corrélation avec son statut d’être vivant et sensible.

2 réponses à “Portrait #2. Lucille BOISSEAU-SOWINSKI : juriste engagée.”

  1. Un article instructif qui montre bien qu’il y a une évolution palpable dans la façon dont l’animal est perçu. Toutefois, cela démontre également qu’il y a des réticences évidentes puisqu’on reconnait aux animaux le droit de ne pas souffrir inutilement, tout en leur refusant la personnalité juridique.
    Merci pour cette édification.
    Mon appréciation de cet article terminé, je dois confier que la cause défendue ici est noble. Ce qui m’emmène à déplorer que le blog qui porte cette cause n’ait pas davantage de visibilité. Aussi, je souhaite partager quelques recettes que j’ai découvertes chez une autre bloggeuse: https://thesexychemicalcompany.com/2019/03/27/ce-que-jaurais-aime-savoir-avant-douvrir-mon-blog/
    Ce faisant, j’exhorte à davantage de lecture sur le sujet. Car, il est indéniable qu’en blogging, le marketing compte autant que l’écriture ou l’intérêt porté à un sujet.
    Quoi qu’il en soit, bonne continuation!

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